J.O. 178 du 3 août 2006       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet
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Décision de la Commission de régulation de l'énergie du 8 mars 2006 se prononçant sur un différend qui oppose Altergaz à Gaz de France, relatif aux conditions d'accès aux stockages


NOR : CREX0609159S



La Commission de régulation de l'énergie,

Vu la demande de règlement de différend, enregistrée le 23 janvier 2006 sous le numéro 06-38-01 et régularisée le 27 janvier 2006, présentée par Altergaz, société anonyme, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Nanterre sous le numéro 451 225 692, dont le siège social est situé 24, rue Jacques-Ibert, 92300 Levallois-Perret, prise en la personne de son représentant légal, M. Robert Delbos.

La société Altergaz a saisi la Commission de régulation de l'énergie du différend l'opposant à Gaz de France, exploitant des installations de stockage de gaz naturel, sur les conditions d'accès aux stockages.

La société Altergaz soutient que le système de réservation mis en place par Gaz de France, qui conditionne l'allocation de capacités de stockage de gaz naturel à la conclusion préalable de contrats de fourniture, est incompatible avec les engagements journaliers qu'elle a pris auprès de ses fournisseurs pour remplir ses obligations de service public.

La société Altergaz estime que ce système est discriminatoire, puisqu'il permet au fournisseur Gaz de France de se réserver une priorité d'injection de ses propres ressources de gaz, aux conditions favorables des mois d'été, tout en s'assurant la revente des quantités correspondant aux besoins des nouveaux entrants, au cours de l'hiver, dans les plus mauvaises conditions de négociation pour ces derniers. Elle ajoute que les conditions de préavis imposées par Gaz de France constituent une barrière à l'entrée pour les fournisseurs qui cherchent à gagner des parts de marché, ceux-ci ne pouvant justifier l'acquisition de nouveaux clients, alors qu'ils doivent réserver des capacités de stockage à hauteur de leurs prévisions de besoins.

La société Altergaz soutient que l'appel d'offres organisé par Gaz de France en février 2006 pour l'allocation de capacités de stockage de gaz supplémentaires ne saurait constituer une solution adaptée, dès lors qu'il risque d'aboutir à un coût nettement supérieur à celui des tarifs publiés, du fait du contexte international. Elle considère qu'une telle solution ne répond pas à la problématique d'un opérateur commercial tenu de faire appel au stockage pour l'approvisionnement de ses clients en distribution, intervenant sur un marché dominé par des tarifs administrés très faiblement saisonnalisés.

La société Altergaz demande à la Commission de régulation de l'énergie de lui reconnaître la faculté de souscrire, sur la base des tarifs et conditions publiés par Gaz de France pour l'accès au stockage, les capacités qui lui seront nécessaires pour exercer ses activités d'achat et de vente de gaz, à compter du 1er avril 2006, éventuellement associée à des modalités de cession du gaz surabondamment stocké en cas d'objectif non atteint sur la base de conditions transparentes et réversibles.


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Vu les observations en défense, enregistrées le 14 février 2006, présentées par Gaz de France, exploitant des installations de stockage de gaz naturel, société anonyme, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris sous le numéro 542 107 651, dont le siège social est situé 23, rue Philibert-Delorme, 75017 Paris, pris en la personne de son directeur des grandes infrastructures, M. Jean-Marc Leroy.

Gaz de France soutient qu'il résulte des dispositions combinées des articles 30-1, 30-2 et 30-4 de la loi du 3 janvier 2003 que l'accès au stockage de gaz est subordonné à l'existence de clients dont l'alimentation doit être assurée conformément aux conditions prévues par leurs contrats. Il en déduit qu'il convient de raisonner au regard de la clientèle effective des fournisseurs et non de données prévisionnelles, la qualité de client ne pouvant être reconnue qu'à ceux qui ont déjà conclu un contrat.

Gaz de France souligne qu'en application des dispositions combinées des articles 3, 4 et 5 du décret du 19 mars 2004 relatif aux obligations de service public dans le secteur du gaz, le recours au stockage ne se justifie que pour assurer la continuité de l'alimentation des clients effectifs ayant conclu un contrat avec un fournisseur. Il observe que les règles d'allocation des capacités de stockage doivent, par conséquent, être déterminées par référence aux contrats effectivement conclus.

Gaz de France estime que ce système est cohérent, puisqu'il n'oblige les fournisseurs à s'assurer de la disponibilité de sources alternatives, notamment de capacités de stockage, qu'à raison de leurs obligations contractuelles, et non au-delà, ce qui serait disproportionné. Il ajoute que ces règles garantissent l'allocation de capacités de stockage au fur et à mesure de l'évolution du portefeuille de clients des fournisseurs.

Gaz de France rappelle qu'en application de l'article 7 du décret du 19 mars 2004 relatif à l'autorisation de fourniture de gaz, l'autorisation devient caduque de plein droit, lorsque le titulaire ne peut faire état d'aucun contrat en cours avec des clients pour une durée d'un an. Il en conclut que le droit d'accès aux stockages de gaz naturel doit s'apprécier au regard du même critère, faute de quoi un fournisseur pourrait réserver des capacités sur la base de simples prévisions alors même que son autorisation de fourniture serait frappée de caducité.

Gaz de France observe qu'une interprétation contraire ne permettrait pas d'assurer la continuité du service et de garantir une allocation des capacités de stockage, sur la base de critères objectifs, dans des conditions transparentes et non discriminatoires, conformément aux principes posés par l'article 30-3 de la loi du 3 janvier 2003. II soutient que si des capacités de stockage pouvaient être réservées sur le fondement de simples prévisions, il risquerait d'être contraint de refuser l'accès à des fournisseurs qui justifient d'une clientèle effective en raison d'un manque de capacités, au sens de l'article 30-4 de la même loi.

Gaz de France considère que sa position est conforme à la loi et aux règles d'allocation publiées et ne préjudicie en rien aux intérêts de la société Altergaz. Il relève que les capacités auxquelles cette société a droit lui seront allouées au fur et à mesure de l'élargissement de son portefeuille de clients, comme il s'y est engagé dans sa lettre du 11 janvier 2006, par application des dispositions de l'article 30-2 qui garantissent l'attribution automatique des stockages libérés par le fournisseur précédent.

Gaz de France estime que la société Altergaz ne saurait se prévaloir utilement des engagements qu'elle a souscrits dans le cadre de contrats « take or pay », dès lors qu'aucune disposition régissant l'activité de fourniture n'impose à un fournisseur de conclure des contrats de ce type et de s'assurer de la disponibilité de sources alternatives, notamment des stockages de gaz, pour leur exécution. Il souligne que ces engagements ont été librement pris par la société Altergaz et en connaissance de cause, les règles d'allocation des stockages ayant été régulièrement publiées sur son site internet depuis le mois de décembre 2004.

Gaz de France soutient que les conditions de rachat du gaz en stock auprès du fournisseur précédent sont étrangères au présent différend, qui porte sur les critères d'allocation des capacités de stockage, et ne sont pas susceptibles d'être examinées par la Commission de régulation de l'énergie.

Gaz de France observe que l'attribution de capacités additionnelles de stockage, dans le cadre de la procédure d'enchères lancée en janvier 2006, a permis à la société Altergaz de disposer de capacités supplémentaires, ce qui laisse penser qu'elle en a trouvé les conditions de prix raisonnables.

Gaz de France demande, donc, à la Commission de régulation de l'énergie de rejeter la demande de la société Altergaz.


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Vu les observations en réplique, enregistrées le 22 février 2006, présentées par la société Altergaz.

La société Altergaz soutient qu'en l'absence du décret en Conseil d'Etat précisant les conditions et les modalités d'application du droit d'accès des tiers au stockage, l'interprétation restrictive retenue par Gaz de France des dispositions de l'article 30 de la loi du 3 janvier 2003 ne peut être validée.

La société Altergaz observe que le projet de décret en cours d'élaboration prévoit l'attribution aux nouveaux fournisseurs de capacités de stockage dépassant le quantum de leurs droits acquis pour l'alimentation de leurs clients, sous réserve de la restitution des capacités excédentaires en cas de besoin.

La société Altergaz considère que c'est dans le texte même de la loi du 3 janvier 2003 et dans les principes généraux du droit de la concurrence qu'il convient de rechercher les fondements d'un règlement équitable du différend qui l'oppose à Gaz de France.

La société Altergaz soutient que l'obligation faite aux fournisseurs par la loi du 3 janvier 2003 de détenir au 31 octobre de chaque année les stocks de gaz nécessaires pour alimenter leurs clients emporte le droit d'injecter le gaz correspondant durant l'été précédent.

La société Altergaz observe que l'interprétation de la loi faite par Gaz de France la prive de la possibilité d'acquérir de nouveaux clients, en compromettant l'équilibre économique de ses approvisionnements. Elle ajoute qu'une telle interprétation aurait pour effet de la conduire à racheter à Gaz de France, dès le 31 octobre, dans des conditions indéterminées, les quantités de gaz en stock correspondant aux droits des clients ayant signé des contrats à partir du 28 février.

La société Altergaz soutient que la position adoptée par Gaz de France concernant les règles d'accès aux capacités de stockage s'apparente à un abus de position dominante, dont les effets se font ressentir sur l'activité de négoce, soumise à la concurrence. Elle estime que l'absence de séparation des activités de stockage et de négoce de Gaz de France est préjudiciable à une mise en oeuvre équitable de l'accès des tiers au stockage, dans les conditions de transparence et d'indépendance attendues par les fournisseurs.

La société Altergaz souligne que les conditions de prix auxquelles elle a été obligée d'enchérir, dans le cadre de l'appel d'offres organisé par Gaz de France, l'ont contrainte à limiter ses réservations de capacités. Elle relève que l'entité de Gaz de France spécialisée dans le négoce a été autorisée à participer à cet appel d'offres et qu'elle a pu profiter, sur le plan comptable, du renchérissement du coût du stockage qui en est résulté.

La société Altergaz persiste donc dans ses précédentes conclusions.


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Vu les observations complémentaires, enregistrées le 1er mars 2006, présentées par Gaz de France.

Gaz de France soutient que le projet de décret auquel la société Altergaz se réfère ne produit aucun effet juridique, dès lors qu'il n'a pas été adopté, et qu'il convient donc d'appliquer directement les dispositions de la loi du 3 janvier 2003 pour régler le différend.

Gaz de France estime que le fait que le projet de décret accorde aux fournisseurs la faculté de réserver des capacités de stockage supplémentaires démontre qu'ils bénéficient, au préalable, de droits attribués en fonction de leur clientèle effective.

Gaz de France souligne que c'est au regard de la clientèle effective qu'il convient d'apprécier l'obligation pour chaque fournisseur d'assurer la continuité de la fourniture, conformément aux dispositions de l'article 3 du décret du 19 mars 2004 relatif aux obligations de service public dans le secteur du gaz. Il précise que l'article 30-2 de la loi du 3 janvier 2003 n'établit pas de droit d'injection. Il ajoute que la phase d'injection n'a pas d'autre objet que de permettre au fournisseur de disposer des stocks nécessaires pour faire face à ses obligations contractuelles durant l'hiver suivant.

Gaz de France rappelle que, conformément aux dispositions combinées de l'article 30-2 de la loi du 3 janvier 2003 et de l'article 5 du décret du 19 mars 2004 relatif aux obligations de service public dans le secteur du gaz, le recours au stockage est un moyen, parmi d'autres, de garantir la continuité de fourniture aux clients. Il observe à ce titre que chaque fournisseur peut se faire livrer du gaz modulé par un fournisseur amont au point d'interface transport-distribution, sans avoir à recourir au stockage, selon des modalités entérinées dans le cadre du GTG (groupe de travail gaz).

Gaz de France soutient que le client des installations de stockage peut, s'il dispose de capacités suffisamment tôt dans l'année, y injecter lui-même du gaz, ou bien, dans le cas contraire, procéder à des achats de gaz en stock auprès des autres fournisseurs. II ajoute qu'une procédure a été mise en place à cet effet.

Gaz de France estime qu'il est logique que l'autorisation de fourniture tienne compte de données prévisionnelles pour les nouveaux entrants, mais rappelle qu'elle devient caduque lorsque son titulaire n'est plus en mesure de faire état d'aucun contrat en cours pendant un an.

Gaz de France observe que, contrairement à ce qu'elle soutient, la société Altergaz n'est pas tenue de lui racheter des stocks de gaz, mais a le libre choix du fournisseur.

Gaz de France indique qu'un contrat d'accès aux stockages est en cours de finalisation avec la société Altergaz, sur la base de sa clientèle effective, indépendamment des accords intervenus à la suite de la procédure d'enchères.

Gaz de France rappelle que la Commission de régulation de l'énergie n'est pas compétente pour se prononcer sur le respect des règles de concurrence.

Gaz de France soutient que les relations entre la direction des grandes infrastructures, qui gère les installations de stockage, et la direction négoce, en charge des activités de fourniture, sont conformes au principe de séparation comptable posé par la directive 2003/55 /CE du 26 juin 2003. Il précise que ces relations sont organisées par des protocoles, conformément aux dispositions de l'article 30-3 de la loi du 3 janvier 2003, et qu'il a mis en place une séparation des fonctions entre ces deux entités sans attendre l'entrée en vigueur des guidelines for good practices for storage system operators (règles pour une bonne pratique de l'accès des tiers aux stockages).

Gaz de France ajoute que la technique des enchères montantes à plusieurs tours, ainsi que les modalités particulières retenues pour leur mise en oeuvre, rendaient impossible la détermination du prix par l'un ou l'autre des deux premiers enchérisseurs.

Gaz de France persiste dans ses précédentes conclusions.


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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi no 2000-108 du 10 février 2000 modifiée relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité ;

Vu le décret no 2000-894 du 11 septembre 2000 modifié relatif aux procédures applicables devant la Commission de régulation de l'énergie ;

Vu la décision du 15 février 2001 relative au règlement intérieur de la Commission de régulation de l'énergie ;

Vu la décision du 27 janvier 2006 du président de la Commission de régulation de l'énergie, relative à la désignation d'un rapporteur et d'un rapporteur adjoint pour l'instruction d'une demande de règlement de différend ;

Vu la directive 2003/55 /CE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2003 concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 98/30 /CE ;

Vu la loi no 2003-8 du 3 janvier 2003, relative aux marchés du gaz et de l'électricité et au service public de l'énergie ;


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Les parties ayant été régulièrement convoquées à la séance publique de la Commission de régulation de l'énergie, qui s'est tenue le 8 mars 2006, en présence de :

M. Jean Syrota, président, Mme Jacqueline Benassayag et MM. Eric Dyevre, Bruno Lechevin et Pascal Lorot, commissaires ;

M. Olivier Challan Belval, directeur général, M. Christian Bossoutrot, chef du département accès aux réseaux et marchés de la direction juridique ;

M. Pierre Dreyer, rapporteur, et M. Laurent Schwebel, rapporteur adjoint ;

Me François-Pierre Lani, MM. Robert Delbos et Pierre Flahaut, pour la société Altergaz ;

Me Sandrine Perrotet, MM. Jean-Marc Leroy et Jean-Michel Cabanes, pour Gaz de France ;

Après avoir entendu :

- le rapport de M. Pierre Dreyer, présentant les moyens et les conclusions des parties ;

- les observations de Me François-Pierre Lani, MM. Robert Delbos et Pierre Flahaut, pour la société Altergaz : la société Altergaz souligne que, dans l'esprit de la loi transposant la directive 2003/55 /CE du 26 juin 2003, les stockages de gaz sont des infrastructures essentielles, ce qui justifie l'existence d'un droit d'accès au profit de tout fournisseur ; elle observe que tout fournisseur de gaz est contraint de travailler sur la base de prévisions, que ce soit vis-à-vis de l'administration, pour la délivrance de l'autorisation de fourniture, ou de ses partenaires commerciaux, pour l'élaboration des offres ; la société Altergaz demande que le prix de cession du gaz stocké soit fixé par des règles transparentes et équitables ;

- les observations de MM. Jean-Marc Leroy et Jean-Michel Cabanes, pour Gaz de France : Gaz de France confirme la signature, le 28 février 2006, d'un contrat d'accès aux stockages avec Altergaz, pour satisfaire les besoins de ses clients effectifs ; il insiste sur le risque de discrimination qui résulterait de l'attribution de capacités de stockage sur la base de prévisions de clientèle, qui sont imprécises et invérifiables ; Gaz de France précise que le fait d'allouer des capacités au fur et à mesure de leurs besoins n'a pas d'incidence sur le prix payé par les fournisseurs ; il assure que les mêmes règles d'allocation sont appliquées à tous les fournisseurs, y compris le fournisseur historique, mais rappelle que les données relatives à la clientèle et aux capacités souscrites sont des informations commercialement sensibles et ne peuvent être publiées ; Gaz de France indique qu'il a rendu public un modèle de contrat d'accès aux stockages comportant des clauses relatives à la cession de capacités entre fournisseurs et aux règles d'utilisation des stocks ;

La Commission de régulation de l'énergie en ayant délibéré le 8 mars 2006, après que les parties, le rapporteur, le rapporteur adjoint, le public et les agents des services se sont retirés.


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Les faits :

Au cours d'une réunion qui s'est tenue le 21 novembre 2005, la société Altergaz a demandé à Gaz de France de lui attribuer, au 1er avril 2006, des capacités de stockage correspondant à ses prévisions de besoins de modulation pour l'hiver 2006-2007. Gaz de France lui a répondu que cette demande ne pourrait être honorée qu'à hauteur de ses besoins de stockage pour la clientèle ayant effectivement signé un contrat de fourniture au 1er avril 2006, et non sur la base de ses prévisions de vente au cours de l'hiver suivant.

Un délai d'un mois est nécessaire pour signer un contrat d'accès aux stockages, et la période d'injection du gaz démarre le 1er avril de chaque année. Dans ces conditions, si la société Altergaz acquiert de nouveaux clients après le 28 février, elle ne disposera de la capacité de stockage nécessaire pour assurer la continuité de ses approvisionnements qu'après le démarrage de la période d'injection. Dès lors, la société Altergaz soutient qu'elle ne sera pas en mesure de disposer des stocks de gaz suffisants pour faire face à ses obligations de service public, sans racheter du gaz stocké par d'autres fournisseurs, à des conditions qu'elle ne peut prévoir. Cette contrainte sera encore plus forte en fin de période d'injection.

De plus, les contrats d'approvisionnement de la société Altergaz, de type « take or pay », qui tiennent compte de ses prévisions de clientèle, supposent un début des injections dans les stockages au 1er avril. Tout retard contraindrait Altergaz à réduire ses enlèvements de gaz et serait, par conséquent, pénalisant.

La société Altergaz a formulé une nouvelle fois sa demande d'accès aux stockages, par écrit, dans une lettre du 1er décembre 2005. Par une lettre du 11 janvier 2006, Gaz de France a confirmé sa position.

Face à ce refus réitéré, la société Altergaz a saisi la Commission de régulation de l'énergie, le 23 janvier 2006, d'une demande de règlement du différend qui l'oppose à Gaz de France sur les conditions d'accès aux stockages.

Sur la compétence de la Commission de régulation de l'énergie :

Aux termes des dispositions de l'article 38 de la loi du 10 février 2000, « en cas de différend [...] entre les exploitants et les utilisateurs des installations de stockage de gaz naturel [...] lié à l'accès auxdit[e]s [...] installations ou à leur utilisation, [...] la Commission de régulation de l'énergie peut être saisie par l'une ou l'autre des parties. [...] Sa décision [...] est motivée et précise les conditions d'ordre technique et financier de règlement du différend dans lesquelles l'accès aux [...] installations [...] ou leur utilisation sont, le cas échéant, assurés. Lorsque cela est nécessaire pour le règlement du différend, la commission peut fixer, de manière objective, transparente, non discriminatoire et proportionnée, les modalités de l'accès auxdit[e]s [...] installations ou les conditions de leur utilisation ».

Il résulte des dispositions précitées que la Commission de régulation de l'énergie est compétente pour régler, dans leurs aspects techniques et financiers, les différends relatifs à l'accès aux installations de stockage de gaz naturel ou à leur utilisation. Elle peut, le cas échéant, fixer les modalités d'accès auxdites installations ou leurs conditions d'utilisation.

Or, il est constant que l'octroi de capacités ne saurait s'opérer sans l'attribution concomitante des quantités de gaz qui, compte tenu des contraintes techniques liées à la respiration du stockage, y sont nécessairement présentes, sauf en début de période d'injection. La Commission de régulation de l'énergie ne peut ainsi régler utilement un différend relatif à l'accès aux installations de stockage ou à leur utilisation sans se prononcer sur le taux de remplissage des capacités en cause et les modalités de transfert du gaz correspondant.

Dès lors, la compétence de la Commission de régulation de l'énergie doit être entendue comme s'étendant aux différends relatifs aux modalités de transfert du gaz stocké, qui constituent une condition de l'utilisation des installations de stockage, au sens des dispositions précitées de l'article 38 de la loi du 10 février 2000.

C'est donc à tort que Gaz de France soutient que les conditions de rachat du gaz stocké ne relèveraient pas de la compétence de la Commission de régulation de l'énergie, dans le cadre du présent règlement de différend.

Sur les conclusions de la société Altergaz tendant à ce que la Commission de régulation de l'énergie lui reconnaisse la faculté de souscrire, dès le 1er avril 2006, la totalité des capacités de stockage qui lui seront nécessaires pour atteindre ses objectifs de clientèle :

Sur l'étendue du droit d'accès aux stockages :

La société Altergaz soutient qu'elle a le droit de souscrire toutes les capacités qui lui seront nécessaires pour exercer, à compter du 1er avril 2006, ses activités d'achat et de vente de gaz.

Conformément aux dispositions du troisième alinéa de l'article 30-1 de la loi du 3 janvier 2003, introduit par le III de l'article 38 de la loi du 9 août 2004, les stocks de gaz naturel permettent d'assurer « la satisfaction directe ou indirecte des besoins des clients domestiques et de ceux des autres clients n'ayant pas accepté contractuellement une fourniture interruptible ou assurant des missions d'intérêt général ».

Aux termes de l'article 30-2 de la loi du 3 janvier 2003, introduit par l'article 39 de la loi du 9 août 2004 :

« I. - Tout fournisseur détient en France, à la date du 31 octobre de chaque année, directement ou indirectement par l'intermédiaire d'un mandataire, des stocks de gaz naturel suffisants, compte tenu de ses autres instruments de modulation, pour remplir pendant la période comprise entre le 1er novembre et le 31 mars ses obligations contractuelles d'alimentation directe ou indirecte de clients mentionnés au troisième alinéa de l'article 30-1 [...].


II. - L'accès des fournisseurs, de leurs mandataires et, par l'intermédiaire de leurs fournisseurs, des clients éligibles aux stockages souterrains de gaz naturel est garanti dans la mesure où la fourniture d'un accès efficace au réseau à des fins d'approvisionnement l'exige pour des raisons techniques ou économiques.

A compter de la date de publication de la loi no 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières, tout fournisseur ou mandataire ayant accès à une capacité de stockage et cessant d'alimenter directement ou indirectement un client mentionné au troisième alinéa de l'article 30-1 de la présente loi libère au profit du nouveau fournisseur de ce client une capacité de stockage permettant à celui-ci de satisfaire l'obligation définie au premier alinéa du I du présent article .

Ces dispositions s'appliquent aux contrats en cours [...].

III. - Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions et les modalités d'application du présent article ».

Ces dispositions ont pour objet de transposer la directive 2003/55 /CE du 26 juin 2003, qui garantit un droit d'accès des tiers aux installations de stockage de gaz et dont le considérant 21 précise qu'il s'agit d'un « moyen essentiel, entre autres, de mettre en oeuvre les obligations de service public telle que la sécurité des approvisionnements ».

Il résulte des dispositions précitées que les fournisseurs de gaz disposent d'un droit d'accès aux stockages souterrains de gaz naturel pour assurer la continuité de l'alimentation de leurs clients. A cet effet, tout fournisseur qui cesse d'alimenter un client doit libérer, au profit du nouveau fournisseur de ce client, la capacité de stockage correspondante.

L'attribution, garantie au fournisseur par la loi, des capacités de stockage nécessaires à l'alimentation d'un nouveau client est subordonnée, aux termes de la loi, à la conclusion préalable d'un contrat de fourniture.

Dans ces conditions, la société Altergaz ne peut prétendre, en se fondant sur de simples prévisions de clientèle, à souscrire les capacités de stockage qui lui seront nécessaires pour exercer ses activités d'achat et de vente de gaz à compter du 1er avril 2006.

L'absence de publication du décret en Conseil d'Etat prévu au III de l'article 30-2 de la loi du 3 janvier 2003 ne saurait faire obstacle à la pleine application des dispositions précitées, qui sont suffisamment claires et précises. Les dispositions du décret en cours d'élaboration, qui n'a pas été publié à ce jour et n'est encore qu'à l'état de projet, ne sont pas opposables dans le cadre de la présente demande de règlement de différend.

La circonstance que la société Altergaz aurait souscrit, auprès de ses fournisseurs, des engagements journaliers incompatibles avec les règles d'allocation des capacités de stockage mises en place par Gaz de France ne saurait faire obstacle à l'application des dispositions de l'article 30-2 de la loi du 3 janvier 2003 précitées.

Les règles d'allocation des capacités de stockage exposées par Gaz de France dans ses observations sont conformes à la loi, et la société Altergaz ne démontre pas qu'elles constituent une barrière à l'entrée sur le marché du gaz.

En outre, la société Altergaz n'apporte aucun élément au soutien de ses allégations selon lesquelles les règles d'allocation fixées par Gaz de France ne seraient pas appliquées dans les mêmes conditions à l'ensemble des fournisseurs.

Le fait que l'appel d'offres organisé par Gaz de France en février 2006 ne constitue pas une réponse adaptée aux besoins exprimés par la société Altergaz, compte tenu de son positionnement sur le marché de détail du gaz, est sans incidence sur l'application des règles d'accès aux stockages fixées par la loi.

Si la société Altergaz estime que le comportement de Gaz de France est constitutif d'un abus de position dominante, il lui appartient de saisir le Conseil de la concurrence, la Commission de régulation de l'énergie ne pouvant statuer, lorsqu'elle est saisie sur le fondement de l'article 38 de la loi du 10 février 2000 modifiée, sur le caractère anticoncurrentiel d'une pratique.

Par suite, la demande de la société Altergaz, tendant à ce que la Commission de régulation de l'énergie lui reconnaisse la faculté de souscrire, dès le 1er avril 2006, la totalité des capacités de stockage qui lui seront nécessaires pour atteindre ses objectifs de clientèle, ne peut qu'être rejetée.

Sur les conditions d'exercice du droit d'accès aux stockages :

La société Altergaz motive notamment sa demande de règlement de différend par le fait que les règles fixées par Gaz de France auraient pour effet, compte tenu des modalités de gestion des stockages, d'obliger tout nouveau fournisseur à racheter à son prédécesseur le gaz stocké, dans des conditions de marché défavorables, en particulier lorsque la libération de capacités, en application de l'article 30-2 de la loi du 3 janvier 2003, intervient en début d'hiver.

Aucune disposition de la loi du 3 janvier 2003 susvisée n'impose au fournisseur bénéficiant de nouvelles capacités de stockage, en application du deuxième alinéa du II de l'article 30-2 de la même loi, de racheter à son prédécesseur le gaz stocké. Toutefois, les modalités de transfert du gaz contenu dans les capacités sont indissociables de leurs conditions de libération.

En effet, lorsqu'un client change de fournisseur en début d'hiver, il est nécessaire, pour le nouveau fournisseur qui acquiert la capacité correspondante, de disposer de gaz, et, pour l'ancien fournisseur qui la libère, de ne pas se trouver avec un stock excédentaire.

Dans ces conditions, et dès lors que les stockages souterrains de gaz naturel constituent un moyen essentiel pour assurer la continuité de l'alimentation de clients, les opérateurs qui exploitent ces installations de stockage doivent, pour donner un effet utile aux dispositions de l'article 30-2 de la loi du 3 janvier 2003, garantir à tous les utilisateurs le transfert du gaz stocké dans des conditions transparentes, non discriminatoires et économiquement pertinentes.

Les exploitants des installations de stockage doivent, par conséquent, adapter les clauses de leurs contrats et protocoles d'accès dans ce sens et les rendre publiques.

Les modalités de la libération de capacités par l'ancien fournisseur, puis de leur affectation au nouveau fournisseur par l'exploitant du stockage doivent donc être précisées, en particulier, les règles de calcul des quantités de gaz éventuellement contenues dans les capacités et les conditions auxquelles l'exploitant des installations de stockage reprend ce gaz à l'ancien fournisseur, puis le cède au nouveau fournisseur.

Les conditions de ces transactions doivent, également, être explicitées. Ainsi, le taux de remplissage des capacités cédées doit répondre aux besoins du nouveau fournisseur et satisfaire aux contraintes techniques liées à la respiration du stockage. Le prix d'acquisition du gaz doit refléter le coût de constitution du stock, en faisant l'hypothèse que le gaz aurait été acheté chaque jour à un prix de référence du marché pour être injecté en respectant un profil d'injection théorique, et qu'il aurait été stocké au coût affiché par Gaz de France.

Il y a lieu, en conséquence, pour la Commission de régulation de l'énergie, d'inviter Gaz de France à compléter les conditions générales de ses contrats et protocoles d'accès conformément aux principes énoncés ci-dessus et à les rendre publiques.

Sur les conclusions de la société Altergaz tendant à ce que la Commission de régulation de l'énergie fixe les conditions de cession du gaz surabondamment stocké pour le cas où elle n'atteindrait pas ses objectifs de clientèle :

Dans la mesure où il n'est pas fait droit à la demande de la société Altergaz d'attribution des capacités qu'elle estime nécessaires pour atteindre ses prévisions de clientèle, la demande tendant à ce que la Commission de régulation de l'énergie fixe les conditions de cession du gaz surabondamment stocké en cas d'objectifs non atteints, est dépourvue d'objet. Elle ne peut, donc, qu'être rejetée,

Décide :


Article 1


Les demandes de la société Altergaz tendant à ce que la Commission de régulation de l'énergie lui reconnaisse la faculté de souscrire, dès le 1er avril 2006, les capacités de stockage qu'elle estime nécessaires pour atteindre ses objectifs de clientèle, et à ce qu'elle fixe les conditions de cession du gaz surabondamment stocké en cas d'objectifs non atteints sont rejetées.

Article 2


Gaz de France complétera les conditions générales de ses contrats et protocoles d'accès aux stockages de gaz naturel, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente décision, par des clauses, qu'il rendra publiques, garantissant à tous les utilisateurs le transfert du gaz stocké, dans des conditions transparentes, non discriminatoires et à un prix reflétant un coût de constitution du stock établi conformément aux principes énoncés dans les motifs.

Article 3


Gaz de France communiquera à la Commission de régulation de l'énergie, dans le délai prescrit à l'article 2, les informations permettant d'attester de la bonne exécution de la présente décision.

Article 4


La présente décision sera notifiée à la société Altergaz et à Gaz de France ; elle sera publiée au Journal officiel de la République française.


Fait à Paris, le 8 mars 2006.


Pour la Commission de régulation de l'énergie :

Le président,

J. Syrota